Afrique : la pauvreté n’est pas un crime

En mars 2015, un vendeur de rue du nom de Mayeso Gwanda est arrêté sur le chemin du travail, au Malawi, et accusé d’être un “voyou“ et un “vagabond“. Ce jour-là, il rejoint les milliers de personnes quotidiennement victimes de l’application des lois venant sanctionner des infractions mineures  ; des lois archaïques, coloniales, délibérément sujettes à une large interprétation et criminalisant des activités de subsistance effectuées dans l’espace public. Avec le soutien du Centre for Human Rights Education, Advice and Assistance (CHREAA) et du Southern Africa Litigation Centre (SALC) , monsieur Gwanda réussira finalement à démontrer l’inconstitutionnalité de la loi sur le vagabondage, une décision qui bouleverse la loi au Malawi, mais connaît également un effet boule de neige sur l’ensemble du continent.
La Campagne régionale pour la décriminalisation des infractions mineures en Afrique est initiée en 2014, avec le soutien de l’Open Society Foundations et à l’initiative des organisations fondatrices. La campagne regroupe actuellement 36 membres qui oeuvrent pour mettre fin à la criminalisation de la pauvreté par la décriminalisation des infractions mineures.

Un coût humain exorbitant

Des recherches menées à l’échelle régionale par Africa Criminal Justice Reform et à l’échelle nationale par différents partenaires montrent la disproportion avec laquelle les lois sur les infractions mineures frappent les populations les plus exclues, les plus pauvres et les plus discriminées du fait de leur statut. Il s’agit des vendeurs à la sauvette, des travailleurs et travailleuses du sexe et des personnes LGBTI. La criminalisation fait le lit de la discrimination et de l’exclusion sociale. Elle contribue de façon significative à la surpopulation carcérale, laquelle affecte à son tour d’innombrables droits humains, parmi lesquels ceux à la santé, à un procès équitable, à la protection contre les arrestations arbitraires et à la protection contre les traitements cruels ou inhumains.

Les peines prononcées résultent souvent de l’incapacité de l’accusé à s’acquitter d’une amende. Elles sont souvent courtes mais leurs effets sur la personne condamnée et sa famille se font ressentir sur le long terme. Il n’est pas rare, en outre, que les personnes condamnées à plusieurs reprises soient considérées comme des récidivistes et condamnées à de peines plus longues.

Les exemples fournis par les membres de la Campagne au Nigeria, en Sierra Leone en Ouganda sont éloquents. L’organisation Lawyers Alert rapporte qu’au Nigeria, 68 % des prévenus incarcérés sont détenus dans des établissements surpeuplés réservés aux incarcérations pour infractions mineures ; nombre d’entre eux ont été fait l’objet d’une arrestation arbitrai. L’organisation AdvocAid observe que les condamnations pour infractions mineures alourdissent le fardeau d’un système pénal déjà surchargé en Sierra Leone, accroissant la surpopulation carcérale et pénalisant de façon disproportionnée les femmes arrêtées pour vagabondage et, par dysfonctionnements de procédures, pour non-paiement de dettes. En Ouganda, Human Rights Awareness and Promotion Forum (HRAPF) rapporte que plus de 40 % des personnes arrêtées pour des infractions mineures plaident coupable afin d’éviter des périodes de détention provisoire pouvant s’étendre au-delà de trois mois ; la majorité des personnes arrêtées sont pauvres et exercent un emploi informel.

Dessiner un cadre normatif

La Campagne régionale pour la décriminalisation des infractions mineures en Afrique veut corriger ces problèmes et mettre fin à des pratiques qui rendent populations pauvres et marginalisées responsables, sur le plan criminel, de leur situation. À l’échelle régionale, elle travaille à l’établissement d’un cadre normatif de promotion de la décriminalisation des infractions mineures par le plaidoyer direct et l’engagement auprès des mécanismes de l’Union africaine, avec deux résultats essentiels :

– Premièrement, l’African Policing Civilian Oversight Forum a mené le travail de plaidoyer de la Campagne, jusqu’à l’adoption, en 2017, par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples des Principes relatifs à la dépénalisation des infractions mineures en Afrique. Ces Principes reconnaissent que l’existence et l’application de lois de pénalisation des infractions mineures entrent en contradiction avec les garanties des articles 2 (droit à la non-discrimination), 5 (interdiction de la torture et des traitments cruels, inhumains et degradants) et 6 (droit à la liberté et à la sécurité de la personne) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Ils appellent les États africains à décriminaliser ces infractions et, plutôt que de les réprimer, de chercher à résoudre les causes profondes de la pauvreté et de la marginalisation.

– Deuxièmement, les partenaires de la Campagne de l’Union panafricaine des avocats, avec le soutien du SALC, ont sollicité un avis consultatif de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, rendu en décembre 2020. La Cour conclut que les lois sur le vagabondage constituent une violation des droits à l’égalité, à la dignité et à la protection contre les traitements cruels, inhumains et dégradants. Les États ont désormais l’obligation positive d’abroger ou de modifier leurs lois pénales désuètes et de mettre fin aux pratiques arbitraires et aux arrestations illégales liées à ces infractions.

Sur tous les terrains : plaidoyer, réforme légale et procédures judiciaires

Pour les membres de la Campagne régionale œuvrant à l’échelle nationale, les Principes et l’avis consultatif de la Cour sont d’importants outils légaux et politiques de promotion des réformes. Différents partenaires de la Campagne ont déjà remporté d’importantes victoires sur le chemin de la remise en cause des pratiques qui criminalisent la pauvreté, notamment par le biais de recherches, plaidoyers, réformes légales et des décisions de justice favorables.

Pour revenir sur l’Ouganda, le Sierra Leone et le Nigeria, le travail de plaidoyer effectué par HRAPF en Ouganda a contribué à l’émission d’une directive présidentielle contre les arrestations pour oisiveté et conduite désordonnée (idle and disorderly) demandant la libération de toutes les personnes détenues pour ce motif. En Sierra Leone, le travail d’AdvocAid a trouvé, au sein du système lui-même, des émissaires de la réforme, notamment le responsable des services pénitentiares de l’établissement pour hommes de Pademba Road. Ce dernier déclare qu’il existe un besoin d’accélérer les réformes légales visant à décriminaliser les infractions mineures, afin de réduire la surpopulation carcérale et d’éviter des mesures privatives de liberté qui représentent une charge inutile pour la justice “. Le travail de Lawyers Alert au Nigeria a permis quant à lui l’introduction, dans la nouvelle loi sur les services pénitentiaires (Correctional Services Act), de peines non privatives de liberté.

Compter ses victoires, faire face aux nouveaux défis

L’une des questions auxquelles fait désormais face la Campagne régionale est celle de l’identification et de la mise en valeur d’alternatives efficaces à la criminalisation de la pauvreté et de la logique de marginalisation qu’elle engendre. Celles -ci doivent se révéler adaptées à différents contextes et adopter un cadre fondé sur le développement, la santé publique et les droits. Comme l’observe HRAPF et comme viennent le confirmer les experiences de nombreux partenaires de la Campagne travaillant à l’échelle régionale comme à l’échelle nationale, “La campagne de décriminalisation des infractions mineures (…) demeure un chemin long et tortueux, marqué par une volonté politique fluctuante“. Néanmoins, la Campagne régionale poursuivra son travail de promotion des Principes relatifs à la dépénalisation des infractions mineures en Afrique et de l’avis consultatif de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Elle continuera à œuvrer pour la mise en place de ces instruments primordiaux à l’échelle des États.

Lisez l’article originale ici : https://www.prisonstudies.org/afrique-la-pauvreté-n’est-pas-un-crime


Louise Edwards est directrice des recherches et programmes à l’African Policing Civilian Oversight Forum, l’un des membres fondateurs de la campagne régionale pour la décriminalisation des infractions mineures en Afrique

A prisoner in Caribbean
Date:
18 June, 2021
Themes:
Infractions mineures
Alternatives à la criminalisation
Frais et Amendes
Droits humains
Détention provisoire
Prisons
Utilisation des espaces publics
Regions:
Afrique
Campaign Partners:
Africa Policing Civilian Oversight Forum
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The Campaign to Decriminalise Poverty and Status is a coalition of organisations from across the world that advocate for the repeal of laws that target people based on poverty, status or for their activism.

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